Quatre cérémonies ont marqué ces deux jours : tout d’abord le jeudi 10 novembre devant le monument réhabilité par les services techniques de la commune et situé dans le cimetière en présence des élèves de CE2, CM1 et CM2 des écoles, puis ce 11 novembre les trois cérémonies traditionnelles aux différents monuments de notre commune. Ces cérémonies ont été marquées par la présence de porte-drapeaux enfants.
“Triste guerre !!! Je ne me souviens plus de ton nom mais c’est sans importance. Etais-tu Georges, Jean, Hyppolite, Maurice ou encore Auguste ? Je ne sais plus ! Nous étions frères, de cette famille que la guerre, cette atroce guerre, avait réunie. Quand nous sommes partis de nos villages respectifs, nous ne savions pas où cette guerre allait nous amener. D’ailleurs, mieux valait ne pas le savoir. Ce qui nous avait d’emblée réunis, c’était la peur mais aussi le courage. Nous avions compris que le danger pouvait être grand pour notre patrie et que notre devoir devait être le plus fort, plus fort que la peur pourtant si présente. Tous, nous avions en commun d’avoir laissé derrière nous notre mère, notre père, nos grands-parents, et encore notre épouse, voire nos enfants. Les reverrions-nous ? Terrible question à laquelle nous ne pouvions répondre mais une question qui ne pouvait que nous hanter ! Entre nous, il y avait de longs moments de silence, ce silence qui portait en lui l’angoisse du lendemain. Parfois, une boutade, un rire, mais c’était si rare ! Tout était partage dans la solitude. Nous étions mal habillés, mal chaussés. Les armes qu’on nous avaient confiées nous faisaient peur. On nous avait fait creuser des tranchées. La boue ajoutait à la tristesse des lieux. Nos officiers n’étaient guère plus rassurés que nous mais ils avaient le devoir de nous aider, de nous accompagner, sans doute bien plus prêts que nous à la guerre. Le bruit des canons avait ceci de terrible qu’il se rapprochait au fil du temps. La patience a ses limites sans que l’impatience ne nous ait jamais gagnés. Un soir, tous alignés dans cette maudite tranchée, on nous avait réunis et nous avions vite compris que l’heure était grave. C’était l’heure du combat qui approchait à l’évidence .On écoutait en bons soldats mais les mots se bousculaient dans nos têtes. Certains étaient plus forts que d’autres comme « devoir » ou encore « avancer ». Un autre avait une force différente, sans doute parce qu’il restait silencieux, celui de « tuer », comprenant que ce qui allait se dérouler dans quelques heures ne portait que deux possibilités, deux et pas plus : tuer ou être tué ! Quel affreux mot mais qui ne va que trop bien avec celui de guerre ! La nuit avait été sans sommeil. Le froid et la peur réunis nous rendaient immobiles. J’avais un rêve, celui que le jour ne se lève pas, que le soleil nous oublie dans ce lieu si hostile. Et pourtant, ce soleil avait pointé le bout de son nez. On comprenait que l’heure était venue. Le silence qui régnait allait être stoppé net par un premier coup de canon, puis un autre. La guerre se rapprochait encore et encore. Qu’étions-nous, qu’étais-je pour la stopper ?Et l’instant fatal avait été donné, celui de franchir la tranchée et d’avancer, avancer et encore avancer. Je ne sais plus si c’est toi, René, que j’ai vu tomber le premier, ou toi Albert, ou encore toi Joseph. Il n’y avait plus de noms pas plus que de prénoms. Il n’y avait que de pauvres hommes, certains courant, d’autres tombant. Je voulais fermer les yeux pour ne pas subir cet instant terrible mais il me fallait avancer, courir, tirer, me battre même contre un ennemi inconnu. Il ne me venait que le mot « horreur » entre ce que je voyais et ce que je vivais. Et en un instant, une terrible douleur dans la jambe qui m’avait fait pousser un terrible cri. Je venais de m’écrouler sous les balles de l’ennemi. Je ne me souviens plus que d’une chose malgré la douleur, c’est cette voix dans mon oreille, une voix tremblante me disant ceci et dont je me souviendrai toute ma vie : « Frère, je vais mourir ! Va dire à ma femme et mes enfants que je les aime ! »Je m’étais réveillé de mon cauchemar alité dans une grande salle qui était donc un hôpital. Que s’était-il donc passé ?J’essayais de retrouver toutes les pièces de cette vilaine histoire mais j’avais mal avec cette jambe immobilisée. Un grand monsieur en blouse blanche s’était approché. Je l’avais interrogé du regard. Il avait voulu me rassurer en me disant que j’allais bientôt pouvoir repartir dans mon village. Quelques temps après, avec mes pauvres béquilles, j’avais vu arriver vers moi à l’entrée du village ma tendre et douce épouse. Elle s’était précipitée vers moi et nous avions partagé nos larmes, autant celles du bonheur de nous retrouver que celles de la souffrance due à la guerre. Plus rien ne serait jamais comme avant !Jamais je ne saurai à qui était cette voix entendue sur le champ de bataille. Ce soldat, ce frère d’arme, serait à jamais mon soldat inconnu. Triste guerre !!!”
JM SAUTREAU – 11 novembre 2022